Tour de France femmes 2022 : non, il n'y a pas plus de chutes dans le peloton féminin que chez les hommes
Au lendemain d'une chute massive dans le peloton, jeudi, et après six jours de course, les spécialistes l'assurent : les chutes ne sont pas plus nombreuses sur ce Tour de France femmes que sur son homologue masculin.
"C'est du sexisme, tout simplement." Stephen Delcourt, manager général de la FDJ-Suez-Futuroscope, ne cherche pas très loin la source des moqueries dont les coureuses sont l'objet depuis le départ, après chaque chute. Depuis plusieurs jours, sur les réseaux sociaux ou en bord de route, on entend dire que les femmes seraient moins habiles que les hommes avec un guidon entre les mains. Est-ce vraiment le cas ?
Directrice de la course, Marion Rousse balaye ces critiques et préfère se concentrer sur les "95% de gens conquis" plutôt que sur les "5% qui restent, qui s'amusent sur les réseaux sociaux à dire que les filles ne savent pas rouler. C'est ridicule. On n'a presque rien à leur dire. On n'a pas à se justifier. Les chutes font partie du cyclisme, il y en aura toujours. On oublie trop vite le Tour masculin de l'année dernière, avec les nombreuses chutes en première semaine, comme à Pontivy".
"Quand les hommes tombent sur le Tour, ce sont des héros courageux, et les femmes ce serait parce qu'elles ne savent pas rouler ?"
Marion Rousse, directeur de course du Tour de France femmesà franceinfo: sport
Fatigué par ces critiques, lui qui a perdu sa coleader Marta Cavalli sur une chute lundi, Stephen Delcourt rappelle que "tout le monde déteste les chutes, et voudrait les éviter. La chute massive de jeudi est bête, ça accroche au milieu et ça devient un château de cartes. On ne pouvait rien faire".
À ses yeux, "La meilleure réponse, c'est le tweet de Christine Majerus". La Danoise a en effet répondu aux critiques par des photos explicites du Tour masculin. La chute massive survenue entre Bar-le-Duc et Saint-Dié-des-Vosges, jeudi lors de la 5e étape, a constitué le point d'orgue des moqueries. Pourtant, il s'agissait là d'un événement de course des plus communs. En dehors de cet enchevêtrement déroutant, le fait est qu'il y a eu peu de chutes depuis le départ de Paris, si l'on écarte la 2e étape.
For the haters…
— Christine Majerus (@C_Majerus) July 28, 2022
Shall I continue? pic.twitter.com/4twtPWhbtf
Et ce jour-là, les explications sont simples : "Le deuxième jour, on était sur un schéma classique de peloton nerveux à cause du vent, où le placement était primordial, face au risque de bordures permanent. Toutes les chutes ce jour-là se sont produites à des endroits où il n'y avait pas de danger, mais où l'on craignait le vent", rappelle Franck Perque, directeur de l'épreuve.
Le matériel n'est pas en cause : les femmes ont le même équipement que les hommes. Et même si deux équipes ont des freins à patins, cela ne fait aucune différence avec les freins à disques tant que le terrain est sec.
La chute de jeudi rappelle celle de Chris Froome sur le Tour 2014
Si certains évoquent un manque d'expérience des coureuses, Charlotte Bravard, directrice sportive de la Saint-Michel Auber 93, réfute l'argument : "Le risque zéro n'existe pas en cyclisme, peu importe le sexe. En Belgique, on prend des départs à plus de 200 coureuses, sur des petites routes. Les filles ont l'habitude". À ses yeux, la chute massive survenue jeudi entre Bar-le-Duc et Saint-Dié-des-Vosges est un non-événement : "Pour une fois, il ne se passait rien à ce moment. On était dans une grande ligne droite, tout le monde s'est déconcentré, et voilà".
Cet événement a rappelé un souvenir au directeur de l'épreuve, Franck Perque, celui d'une chute de Christopher Froome sur le Tour en 2014, en direction du Touquet. "Il a eu un moment d'inattention, il chute et se fait une fracture au poignet dans une grande ligne droite, calme". À l'époque, personne n'a osé remettre en question l'habileté du Britannique avec son guidon...
Pour Marion Rousse, consultante France Télévisions sur les courses masculines et aux premières loges dans la voiture n°1 dans le Tour femmes, les causes des chutes sont les mêmes chez les hommes que chez les femmes : "On est sur la plus belle course du monde, tous les sponsors veulent être à l'avant parce qu'ils jouent beaucoup d'un point de vue financier. Il n'y a pas de meilleure caisse de résonance que le Tour".
"Le modèle économique du cyclisme féminin reste très fragile, les équipes ont besoin de cette course pour se faire voir, pour prendre la lumière, ce qui met beaucoup d'anxiété, de nervosité. Tant qu'on n'est pas dans le peloton, on ne peut pas sentir tout ça."
Marion Rousseà franceinfo: sport
Quand 140 coureuses se disputent les dix places à l'avant du peloton, ça frotte, ça joue des coudes pour se placer, et le risque de chute augmente immanquablement. "Les filles roulent avec des oreillettes, elles ont les ordres. Aucun directeur sportif ne va dire 'ne prenez pas de risque' dans les moments tendus", souligne Marion Rousse.
"Notre sport n'est pas mature. Il faut être tolérant, laisser faire le temps. Il faut comprendre que ces filles qui sont étudiantes, qui travaillent, ont envie de briller sur cette course, relativise Stephen Delcourt. Tout le monde est prudent, mais ça peut arriver à n'importe quelle coureuse."
"Les directeurs sportifs du canapé, on les connaît, c'est facile de parler derrière son écran. Mais on les attend toujours sur un vélo."
Charlotte Bravard, directrice sportive de l'équipe Saint-Michel Auber 93à franceinfo: sport
Pour le manager général de la FDJ, "le cyclisme féminin prend de l'importance, et certains ne comprennent pas que c'est l'aura du cyclisme en général qui en profite. Ils sont jaloux parce que les coureuses sont fraîches, pleines d'envie. Il n'y a pas de problèmes de niveau technique chez les femmes."
Ancien coureur, et directeur de l'épreuve, Franck Perque rebondit sur ce soi-disant manque de technicité des femmes : "Quand vous voyez la vitesse à laquelle elles passent les parcours, les chemins blancs, les descentes techniques comme celle de Mutigny... Il n'y a rien à dire sur la technicité et la dextérité du peloton féminin. Ceux qui prétendent le contraire n'y connaissent rien, c'est de la malhonnêteté. Il n'y a pas grand monde qui pourrait suivre les filles du Tour de France sur un vélo".
D'autant que de nombreuses membres du peloton ont une solide expérience en cyclo-cross et VTT. "Il faut laisser parler : il y aura toujours des détracteurs", souffle Jonas Dupuis, directeur sportif du Stade Rochelais. "Venez rouler avec nos filles, vous verrez de quel bois elles se chauffent." Dans la descente de la dernière côte de 4e catégorie lors de la 6e étape, les coureuses ont atteint les 70 km/h. Qui dit mieux ?
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